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En Belgique aussi, l’art a été pillé par les nazis

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1970
1945
La Libre 15 March 2023
Guy Duplat

Geert Sels a mené huit ans d’enquête. Résultat : un livre très documenté.


En février 2022, a eu lieu la restitution par le musée des Beaux-Arts de Bruxelles du tableau "Fleurs" de Lewis Corinth. 

En 2013, éclatait l'affaire Cornelius Gurlitt quand on découvrit dans l'appartement à Munich de cet octogénaire, 1500 œuvres d'art que son père avait achetées, souvent aux nazis, et la plupart volées aux Juifs.

Geert Sels, journaliste du Standaard, découvre alors qu'il n'existait pas en Belgique, contrairement à nos pays voisins, de banque de données sur les œuvres d'art dont l'acquisition pourrait être douteuse, des "œuvres orphelines". Il était "indigné" dit-il, que la réponse officielle était toujours que tout avait été étudié alors que ce n'était pas le cas.

Nombreuses difficultés

Pendant plus de huit ans, il a mené l'enquête en Belgique et dans d'autres pays, qui aboutit aujourd'hui à un livre, traduit en français, publié chez Racine : Le trésor de guerre des nazis. Enquête sur le pillage d ' art en Belgique.

Il s'est heurté, comme il le raconte, à de nombreuses difficultés. Il y eut certes en 2000-2001 la Commission Buysse "pour le dédommagement des membres de la Communauté juive de Belgique" qui avait cherché à établir cette base de données. Mais malgré ses demandes répétées, Geert Sels n'a pas pu avoir accès aux résultats qui ne sont pas publics. En cherchant lui-même, il a dû les trouver souvent à l'étranger, aux Pays-Bas en France et en Allemagne.

Geert Sels a pu identifier neuf tableaux et treize autres œuvres, qui échappaient jusqu'ici aux "radars" et qui pourraient être réclamés dans ce cadre. Des dizaines d'autres seraient douteuses.

Son enquête déborde le temps strict de l'occupation de la Belgique par les nazis et remonte à 1933 date de la prise de pouvoir d'Hitler. Il rapporte ainsi des cas de réfugiés juifs venus chercher protection en Belgique, surtout à partir de 1938, date de l'Anschluss et de la Nuit de Cristal et qui tentèrent d'obtenir des papiers ou de l'argent pour continuer leur voyage vers l'Angleterre ou les États-Unis en offrant, "paniqués", des œuvres à des musées belges ou en les leur vendant très peu cher. L'afflux de réfugiés était tel que les autorités belges devenaient réticentes à accorder de nouveaux visas. Pour elles, le "pays était plein". Il raconte le cas d'une famille juive ayant demandé quatre fois le visa pour entrer en Belgique. Chaque fois, il fut refusé jusqu'à ce qu'elle propose des œuvres sur papier de sa collection à donner aux musées belges en échange du visa.

Frontière délicate

La frontière entre ventes "normales" et ventes "forcées" est délicate mais nécessaire à définir. D'autant qu'il y eut aussi des marchands d'art qui ont collaboré avec des marchants nazis et acquis ainsi des œuvres "pillées" qu'ils ont mises ensuite sur le marché.

Il cite les cas de Paul Rosenthal et Moritz Lindeman qui vendirent dans ces conditions spéciales des peintures de Cornelis van Haarlem, Heinrich Tiefenbrunn, et d'autres. Un conservateur anversois écrit alors qu'il "a pu acheter des œuvres à des prix avantageux".

Geert Sels évoque de nombreux exemples dont le cas du Kokoschka Le portrait de Ludwig Adler, du musée de Gand, qui reste toujours réclamé par la famille Von Klemperer.

Depuis la sortie de la version néerlandaise du livre et les articles dans De Standaard, plusieurs bureaux d'avocats spécialisés s'apprêtent à lancer, sur base de l'enquête de Geert Sels, de nouvelles procédures de restitution aux ayants droit. En Flandre, Jan Jambon a dégagé l'argent pour étudier le cas de 78 œuvres d'origine problématique.

Souci de restituer

Son livre devrait aider, espère Geert Sels, à créer en Belgique, à l'instar de ce qui existe aux Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche et en France, une commission des restitutions qui étudierait les demandes des ayants droit.

Le souci de restituer les biens spoliés n'est certes pas absent en Belgique comme l'a montré, en février 2022, la restitution par le musée des Beaux-Arts de Bruxelles, à la famille du propriétaire, d'un tableau de Lewis Corinth, Fleurs, que la famille revendit quatre mois plus tard aux enchères pour 309 600 €. Une salle du musée fut d'ailleurs inaugurée pour expliquer cette problématique aux visiteurs et un programme intitulé Provenance a été lancé.

-> ★ ★ ★ Geert Sels | Le trésor de guerre des nazis. Enquête sur le pillage d'art en Belgique | enquête | Racine | 432 pp., 40 €, version numérique 22 €


https://www.lalibre.be/culture/livres-bd/2023/03/15/en-belgique-aussi-lart-a-ete-pille-par-les-nazis-75N5HGHM2JED3M7WSEIUKSETCM/
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