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Œuvres spoliées aux Juifs ou pillées en Belgique par les nazis : nouveaux rebondissements

1998
1970
1945
RTBF 17 February 2023
Par Maurizio Sadutto avec Françoise Bar

De nouvelles découvertes surgissent dans l'épineux dossier des œuvres spoliées aux Juifs ou pillées en Belgique par les Nazis. Un journaliste, Geert Sels, a mené pendant 8 ans une enquête à travers l'Europe et dans les archives. Plus de 150 tableaux exposés dans les musées, vendus aux enchères dans le monde, vont être réclamés à la Belgique par les descendants ou les héritiers. Quatre demandes sont sur le point d'être déposées. C'est le fruit d'un travail acharné et nécessaire qui va bousculer le gouvernement.

Une transaction pour le moins inattendue



Geert Sels et cet historien des Archives générales du Royaume se connaissent bien. Ils se côtoient depuis 10 ans. © RTBF

Geert Sels arpente les couloirs des Archives générales du Royaume depuis au moins dix ans. Le journaliste ne lâche rien, il épluche l'ensemble des archives économiques, judiciaires et culturelles contenues dans ces couloirs du temps.

Nous lui devons entre autres un morceau de la vie et de l'angoisse de Fritz et Emmy Gütterman-Seegall. Nous sommes en 1938. Ils veulent fuir Berlin. Ils demandent un visa pour se réfugier en Belgique. Ci-dessous : leur dossier, constitué par la Sûreté de la Belgique, l'ancêtre de l'Office des étrangers.


Geert Sels raconte dans quelles circonstances ces événements ont eu lieu : "Ce sont des personnes qui sont vraiment en panique, qui ont peur, qui doivent sauver leur vie. Parce que rester en Allemagne, ce n'est pas une option."

Ce document est rarissime de précision. L'avocat du couple juif, après avoir essuyé quatre refus de visa, propose une transaction pour le moins inattendue. Celle-ci précise :

"Au cas où la Sûreté publique autorisait l'établissement en Belgique de Mr et Mme Gutterman, Mr le conservateur en chef aurait la faculté de choisir dans la collection commune dix planches destinées à enrichir nos collections nationales."


© Archives générales du Royaume

Et en effet, dans leur situation que l'on peut qualifier de désespérée, ils offrent des dessins d'art de leur collection contre un visa. Et ça marche. La Sûreté accepte le deal. Le conservateur des Musées Royaux choisit dix planches. Pas vraiment emballé, l'historien d'art s'exécute. Un marchandage hors-la-loi, cependant.

"Ici on peut vraiment parler d'un échange de visa contre des pièces d'art.", explique Geert Sels, "Je pense que dans les conditions normales, ils n'auraient jamais donné ou même vendu les œuvres d'art."

Des œuvres aux mains des nazis

Geert Sels a retrouvé grâce aux archives les héritiers de la famille Gütterman, mais aussi de nombreuses autres familles qui ont donné dès 1934 des œuvres aux musées belges d'Anvers, de Gand et de Bruxelles. Des avocats américains, anglais et allemands vont réclamer officiellement ces œuvres à la Belgique.






L'enquête de Geert Sels nous emmène maintenant à l'hôtel Métropole. Dans la mémoire de son ordinateur, ces tableaux. Voici deux joyaux de l'art flamand du XVᵉ siècle : un Colin de Cooter et un du maître de la légende de Sainte-Lucie. C'est le maréchal Göring en personne qui les achète en octobre 40 lors de la vente organisée dans ce même hôtel. Le nazi est conseillé par Walter Hofer que l'on devine sur une photo.

Autre document exceptionnel, la facture d'achat d'Hermann Göring, oubliée mais retrouvée par notre journaliste. On y voit les noms précis des tableaux et leur prix de vente.


Un document retrouvé à La Haye. Et Göring avait payé la coquette somme de 88.000 reichsmark. Une petite fortune… Une vente organisée par des marchands d'art bruxellois pour assouvir la passion du maréchal. Mais à qui appartenaient ces tableaux? D'où venaient-ils? Deux questions centrales de l'enquête de Geert Sels, dont la seule certitude jusqu'à présent est que les informations sur leur provenance sont incomplètes.

Ces tableaux ne sont toujours pas revenus en Belgique, ils sont aux Pays-Bas ou en Allemagne. Geert Sels estime qu'il y a à peu près 150 tableaux et dessins orphelins, toujours en déshérence. Il attend, comme tous les spécialistes belges, que le gouvernement fasse centraliser enfin les recherches et y mette un coup d'accélérateur.

Le résultat de ces recherches peut être consulté dans le livre que publie Geert Sels : "Le trésor de guerre des Nazis. Enquête sur le Pillage d'art en Belgique", aux éditions Racine.


https://www.rtbf.be/article/oeuvres-spoliees-aux-juifs-ou-pillees-en-belgique-par-les-nazis-nouveaux-rebondissements-11154067
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