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Mars 2017. Des chefs-d’œuvre, passés chez Paul Rosenberg : Picasso, Matisse, Braque, Léger...

1998
1970
1945
Evous 21 December 2016
Par André Balbo

Du 2 mars au 23 juillet 2017, au musée Maillol, l’exposition "21, rue La Boétie. Picasso, Matisse, Braque, Léger..."

Présentation du marchand d’art

Voir Présentations d’Artistes, collectionneurs, marchands d’art de A à Z

Paul Rosenberg (1881-1959) marchand d’art et galeriste, est le fils d’Alexandre Rosenberg, immigré de Slovaquie en 1878, qui se lançait dans le commerce d’art et d’antiquités à Paris, et devenait marchand d’art dès 1898, s’intéressant plus particulièrement aux peintres impressionnistes et post-impressionnistes.

Paul et son frère ainé Léonce (1878-1947) commencent leurs carrières au service de leur père, dans sa galerie de l’avenue de l’Opéra et en assument ensemble la succession de 1906 à 1910. Alexandre eut la riche idée de faire voyager ces deux fils à Londres, Berlin, Vienne et New York à seules fins de leur permettre de tisser liens et contact, et d’élargir leur expérience de jeunes marchands d’art.

Durant ce périple, Paul achète deux dessins de van Gogh et un portrait de Manet.


Pablo Picasso (1881-1973), Portrait de Paul Rosenberg, 1918-1919, Mine de plomb sur papier, 35,6 x 25,4 cm. Collection particulière © Succession Picasso 2016 © Photo : Studio Sebert / Galerie Troubetzkoy

Léonce deviendra le marchand des peintres cubistes. Sa galerie "L’Effort Moderne", au 19 rue de La Baume, fait figure de précurseur et réunit l’avant-garde des artistes de son temps.

En 1910, Paul Rosenberg ouvre en nom propre une galerie au 21, rue La Boétie à Paris. On considère qu’il fut l’un des grands marchands d’art de la première moitié du XXe siècle, représentant, en parallèle et, parfois, en concurrence avec le découvreur Daniel-Henry Kahnweiler, Braque, Picasso, et Matisse.

Homme d’affaires avisé, passionné et amateur éclairé comme l’étaient également son père et son frère, Paul fut l’ami et l’agent de ces artistes, qui comptaient parmi les plus grands de ce temps, et allaient devenir des maîtres incontestés de l’art moderne. Le marchand d’art et galeriste construit avec eux des relations de confiance, leur assurant une sécurité de revenus, acceptant l’achat de leurs œuvres sur une base contractuelle... assortie souvent d’une exclusivité. Ainsi sa galerie a-t-elle servi de pivot à la peinture moderne en France, et plus largement en Europe et aux États-Unis.

Pablo Picasso (1881-1973), Baigneur et baigneuses (Trois baignants), 1920-1921, Huile sur toile, 54 x 81 cm. Collection David Nahmad, Monaco

En 1936, fort du succès de ses affaires, conscient aussi des tensions internationales et des risques de conflit en Europe, il commence à répartir sa collection hors d’Europe continentale, Paul Rosenberg ouvrira une succursale à Londres, au 31, Bruton Street, avec son beau-frère Jacques Helft, célèbre antiquaire parisien.

Paul Rosenberg part aux États-Unis en 1940, pour échapper au nazisme. En 1941, à la suite à l’Exposition universelle de New York en 1939, il ouvre une galerie à New-York au 16 East 57th Street, qu’il déménage en 1953 pour l’installer au 20 East 79th Street. Il en ouvrira également d’autres en Australie et en Amérique du Sud.

Malgré ces mesures, au moment de l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, plus de 2 000 pièces demeurent encore dans sa galerie et plus largement en France, et Paul Rosenberg sera victime de spoliation, notamment à Libourne et dans sa résidence proche de Bordeaux qui sera pillée.

Les nombreuses tribulations et procès visant à récupérer les œuvres volées, menés tant par Paul Rosenberg que par ses descendants, sont entrés dans l’histoire des difficultés d’obtenir ces restitutions... et des contorsions des administrations et du marché de l’art.

À sa mort, en 1959, son fils Alexandre, déjà associé depuis 1952 à la gestion de la galerie, en prend la direction.

Présentation de l’exposition

L’exposition "21 rue La Boétie" retrace le parcours singulier de ce grand marchand d’art. Elle rassemble une soixantaine de chefs-d’œuvre de l’art moderne (Pablo Picasso, Fernand Léger, Georges Braque, Henri Matisse, Marie Laurencin...), provenant de collections publiques majeures françaises, ou du Deutsches Historisches Museum de Berlin, ou de collections particulières comme celle de David Nahmad.

Nombre d’entre eux ont transité par les galeries de Paul Rosenberg, et d’autres renvoyant au contexte historique et artistique de l’époque. Double tournant, dans l’histoire de l’art, avec l’émergence de l’art moderne, puis, dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, le déplacement du centre mondial du marché de l’art de Paris vers New York, ce dont Paul Rosenberg a été à la fois témoin, acteur et victime.

Les sections du parcours de l’exposition sont rythmées de citations souvent éclairantes de Paul Rosenberg. Ainsi écrit-il le caractère qu’il entend donner à sa nouvelle galerie qu’il ouvre en 1910 au 21 rue La Boétie. "J’estime (...) que le défaut des expositions actuelles est de montrer isolément l’œuvre d’un artiste. Aussi ai-je l’intention d’organiser chez moi des expositions d’ensemble d’Art décoratif. Bien des personnes, qui ne sont pas assez sûres de leur goût ou du goût des Artistes, pris séparément, verraient leur tâche facilitée en jouissant d’un coup d’œil d’ensemble de l’étroite réunion de tous les Arts dans l’atmosphère d’une habitation privée."

À cette époque s’esquissent les prémices de sa collaboration avec Pablo Picasso qui donnera lieu à une vraie relation d’amitié.

Passeur de modernité, et dieu sait que les décennies qui précédèrent l’ouverture de la galerie avaient été riches en (r)évolutions esthétiques, avec les impressionnistes, les fauves puis les bandes à Apollinaire et à Matisse.

Georges Braque (1882-1963), Fruits sur une nappe, 1924, Huile sur toile, 31,5 x 65,5 cm, Fondation Collection E.G. Bührle, Zurich.

Rosenberg a fait ses choix, s’inscrire résolument dans le modernisme. Il soutient les artistes "créateurs", vendant ce qu’il aime le moins pour acheter et défendre ce qu’il aime vraiment, permettant à l’acheteur éventuel d’aller progressivement dans sa galerie de l’art le plus familier au plus osé.

De même le visiteur de l’exposition, par la vingtaine d’œuvres de premier plan (Picasso, Léger, Braque, Masson, Sisley, Cézanne), est amené à mieux comprendre les choix esthétiques et commerciaux qu’avait opérés Paul Rosenberg dans ce moment clé de l’histoire de l’art.

Ce marchand d’art confiait en 1941 à la revue Art in Australian : "Les peintures en avance sur leur époque n’existent pas. C’est le public qui est parfois à la traîne de l’évolution de la peinture. Combien d’erreurs ont été commises, combien de jeunes futurs grands peintres ont connu la misère à cause de l’ignorance des marchands et leur refus de les soutenir, tout simplement parce qu’ils n’aimaient pas cet aspect de leur art ou parce qu’ils ne les comprenaient pas ! (...) Trop souvent, le spectateur cherche en lui-même des arguments contre leur art plutôt que de tenter de s’affranchir des conventions qui sont les siennes." Anne Sinclair, 21 rue La Boétie (Grasset).

Une 3e section interroge le "système Rosenberg". Il s’agit d’abord pour Paul de miser sur ce qu’il estime être les "valeurs sûres" de l’art moderne, tout en rassurant la clientèle qui a besoin de l’être par un choix d’œuvres de maîtres du XIXe siècle. Rosenberg parvient ensuite à tisser un réseau de clients fortunés, tant européens qu’américains.

Henri Matisse (1869-1954), La leçon de piano, 1923, Huile sur toile, 65 x 81 cm. Collection particulière © Succession H. Matisse

Parmi les premiers à comprendre cette nouvelle importance du marché américain, il se rend régulièrement aux États-Unis, où il fonde en 1923 une société commerciale avec Georges Wildenstein, et parcourt le pays pour conseiller les nouveaux musées dont se dotent les villes de province. Tous les moyens modernes sont utilisés pour assurer la promotion de ses artistes : édition de catalogues, accrochages monographiques, publicité dans les journaux, participations à des salons et organisation d’expositions de bienfaisance...

Enfin, un livre de stocks précis note les allers et venues des œuvres. Chaque toile est répertoriée, indexée et photographiée.

Au travers de documents inédits (contrats avec artistes, fiches indexées, catalogues d’exposition, plaques en verre...) et une sélection d’œuvres de tout premier plan, le visiteur comprend la manière dont sont dirigées les affaires et ce qui a contribué à faire de lui un important marchand d’art. Le film 21 rue La Boétie de Virginie Linhart l’illustre.

"Paul fut, jusqu’à la guerre, le plus grand marchand en Europe, de Delacroix à Picasso. « Imaginez, racontait un grand journal californien dans les années 1940, être capable d’entrer dans le studio de Matisse ou de Picasso deux fois par an, de regarder 40 de leurs meilleures toiles et dire “je les prends toutes !" Jusqu’à la guerre, c’est ce que faisait Paul Rosenberg. » Anne Sinclair, 21 rue La Boétie (Grasset).

Dans la 4e section, on assiste à l’irruption brutale qui fut vécue de la politique dans l’art. Si Paris est encore préservée, la menace pèse sur l’Allemagne des années 1930. Le terrain artistique devient le champ de bataille des idéologues nazis défendant la pureté arienne à travers un retour et une glorification de la tradition germanique s’opposant aux artistes modernes, porteurs d’idées nouvelles et émancipatrices.

La notion d’"art dégénéré" (Entartete Kunst) est illustrée dans la double exposition de juillet 1937 à Munich, où l’on voit l’opposition, à des fins de propagande, de "l’art allemand" à un art dit "dégénéré".

En conséquence se posait alors la question lancinante : fallait-il acheter aux nazis ? La position de Paul Rosenberg fut intransigeante, plus que celles accommodantes de certains de ses confrères ou d’institutions muséales (Liège, Bâle...), même si des ententes furent passées entre acheteurs potentiels pour ne pas surenchérir. Par déontologie ou sens des affaires ?

Dans cet espace, quelques tableaux "dégénérés", acquis par la Ville de Liège lors de la vente de Lucerne de 1939, sont confrontés à des œuvres de peintres allemands qui s’inscrivaient dans l’esprit de ce retour à la tradition germanique porté par les nazis.

Une 5e section, partant de la France occupée, suit l’exil du marchand d’art, de Paris à New York en passant par Bordeaux, d’où il parvient, avec sa famille, à s’échapper grâce aux visas délivrés par le consul général portugais Aristides de Sousa Mendes. Avant d’embarquer pour l’Amérique, Rosenberg pense avoir mis en sécurité une partie de ses tableaux (dont la Nature morte à la cruche et Baigneur et baigneuses, de Picasso) dans un coffre-fort à Libourne. Il sera pillé par les soldats allemands.

Ainsi est évoquée la spoliation des œuvres d’art par les nazis, leur regroupement dans la salle des "Martyrs" au Jeu de Paume, puis le travail de pistage et de sauvetage des œuvres par Rose Valland, alors attachée de conservation de cette institution.

De l’autre côté de l’Atlantique, le triptyque d’Arthur Kaufmann (Étude pour l’émigration spirituelle) représente les exilés de l’intelligentsia allemande. Il témoigne en filigrane de la montée en puissance des États-Unis et du basculement du centre de gravité du marché de l’art de Paris vers New York où Paul Rosenberg ouvre sa galerie au 79 East 57th Street en 1941.

À la même époque, celle de la rue La Boétie, réquisitionnée par les Allemands, devient l’Institut d’Études des Questions juives. À l’issue du conflit, Paul Rosenberg reprendra possession de sa galerie parisienne. Ne pouvant se résoudre à rouvrir son commerce, il met le lieu en vente, faisant au préalable desceller les mosaïques de marbre commandées à Georges Braque en 1929, témoignage de leur amitié.

"Le 4 juillet 1940, Otto Abetz, ambassadeur du Reich à Paris, adressa donc à la Gestapo la liste des collectionneurs et marchands juifs les plus connus de la place : Rothschild, Rosenberg, Bernheim-Jeune, Seligmann, Alphonse Kann, etc.
C’est dès ce jour-là que l’hôtel du 21 rue La Boétie aura été perquisitionné, avec saisie des œuvres d’art que Paul avait laissées, d’une bibliothèque de plus de 1200 ouvrages, de l’équipement de toute une maison (des meubles anciens aux accessoires de cuisine), de plusieurs centaines de plaques photographiques et de toutes les archives professionnelles de la galerie depuis 1906.
Figuraient aussi des sculptures, restées à Paris car difficilement transportables, dont un grand Maillol, et les deux statues célèbres de Rodin, Ève et L’Âge d’airain, qui ornaient le hall de la rue La Boétie. » Anne Sinclair, 21 rue la Boétie (Grasset).

Marie Laurencin (1883-1956). Anne Sinclair à l’âge de 4 ans. 1952, Huile sur toile, 27 x 22 cm. Collection particulière © Fondation Foujita / ADAGP, Paris, 2016

L’histoire rocambolesque de la découverte en août 1944 par le lieutenant Alexandre Rosenberg, fils de Paul, de plusieurs dizaines d’œuvres de la collection de son père dans un train allemand saisi par son unité au nord de Paris, ouvre cette section. Un extrait du film Le Train, de John Frankenheimer, avec Burt Lancaster, Paul Scofield, Jeanne Moreau et Michel Simon, illustre à sa manière cet épisode.

Paul Rosenberg se rendra dès 1946 en France et en Suisse pour tenter de récupérer les œuvres qui lui avaient été volées. L’exposition prend pour exemple le cheminement d’une toile des mains de l’artiste jusqu’à sa situation actuelle, Robe bleue dans un fauteuil ocre, de Henri Matisse. Achetée par Paul Rosenberg au peintre en 1937, volée par les nazis 4 ans plus tard dans le coffre-fort de Libourne et destinée à la collection particulière de Göring, elle sera achetée après-guerre par l’armateur norvégien Niels Onstad au marchand parisien Henri Bénézit puis installée enfin au Centre d’Art Henie-Onstad (HOK) dans la banlieue d’Oslo avant d’être finalement restituée à la famille Rosenberg en 2012.

Georges Braque (1882-1963), Nu couché, 1935, Huile sur toile, 114,3 x 195,6 cm, Collection David Nahmad, Monaco © ADAGP, Paris 2016/ © Photo : Collection David Nahmad, Monaco

Le commissariat de l’exposition est assuré par Elie Barnavi, Benoît Remiche, Isabelle Benoit, Vincent Delvaux et François Henrard, de l’équipe Tempora. Elaine Rosenberg, belle-fille de Paul Rosenberg, a mis à disposition ses archives, et Anne Sinclair auteur du livre éponyme 21 rue La Boétie (Grasset & Fasquelle, 2012) est la marraine de cette exposition présentée précédemment au musée de La Boverie de Liège.

21 rue La Boétie. Picasso, Matisse, Braque, Léger... du 2 mars au 23 juillet 2017, au musée Maillol. 61 rue de Grenelle 75007 Paris. 01 42 22 57 25. www.museemaillol.com. Métro Rue du Bac, bus : 63, 68, 69, 83, 84, 94. Ouvert tous les jours en période d’exposition temporaire, de 10h30 à 18h30. Nocturne le vendredi jusqu’à 21h30. 13 ou 11€.


https://www.evous.fr/Chefs-d-oeuvre-passes-chez-Rosenberg-1191727.html
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