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Le système sclérosé des musées français - The ossified system of French museums

1998
1970
1945
Libération 17 December 2014
Par Vincent Noce

Au Centre Pompidou à Paris, des oeuvres d'art récupérées après la Seconde Guerre Mondiale, dont certaines ont été volées par des nazis à des familles juives, exposées en 1997. (AFP)

Recherches trop partielles sur les spoliations nazies, état des réserves insalubres, manque de réseaux... Un rapport parlementaire secoue la bureaucratie qui paralyse les musées français.

Repenser la politique muséale. Telle est l’ambition affichée par une commission parlementaire d’information, qui a rendu aujourd’hui un rapport critique envers la gestion des collections et notamment la politique de restitution des œuvres pillées par les nazis. Cent trente pages, 47 propositions: Fleur Pellerin, qui n’a pas mis le patrimoine au top de ses priorités, a du travail à rattraper pour les fêtes, même si elle a pris un peu d’avance en laissant entendre qu’elle reprendrait certaines préconisations. Le petit cadeau de Noël a été ficelé ce matin à l’Assemblée par Isabelle Attard.

De gauche comme de droite, les quatre députés (1) sont unanimes pour dresser un constat sévère d’un système hyper-centraliste. Ils restent cependant prudents sur les moyens d’une réforme, sachant le temps et les moyens limités dévolus à la ministre.

Pendant un an, ils ont tenu une quarantaine d’auditions, suivies de visites en régions, aux Etats-Unis, en Angleterre et, tout récemment encore, en Allemagne. Le passage le plus sensible de leur rapport porte sur les recherches sur la spoliation nazie, revenues sur le devant de la scène avec l’affaire Gurlitt. Les parlementaires rééditent ce constat: la France est à la traîne. Cent deux œuvres seulement ont été rendues, sur les 2 143 récupérées en Allemagne gardées par les musées nationaux, appelées Musées nationaux récupération (MNR) (2). Avec un net ralentissement ces dernières années, difficilement masqué par l’orchestration médiatisée des maigres restitutions. Pour toute réponse aux demandes pressantes, le ministère a démarré une enquête sur 145 de ces œuvres, pour aboutir à 28 «pistes prometteuses»… Soixante-dix ans après la Libération, ce n’est guère glorieux.

La mission réclame un nouveau départ, avec enfin une recherche active des ayants droit et le déblocage de fonds spécifiques. Citant les efforts déployés au centre Pompidou et au musée d’Angers, elle demande de reprendre la mise en ligne des MNR, en intégrant les fiches de recherche, des prises de vue correctes et des textes en anglais, qui sont encore introuvables. Mais elle ne s’arrête pas en si bon chemin. Réclamant le respect de la convention de Washington de 1998, elle préconise de passer au crible l’ensemble des collections, dans lesquelles «des œuvres au passé trouble sont sans doute présentes». «Les MNR sont l’arbre qui cache la forêt», argumente-t-elle en appelant à une «politique de recherche systématique de la provenance des œuvres entrées dans les musées depuis 1933 afin que chacun puisse s’assurer que les collections qu’il conserve sont irréprochables».

Elle propose de s’inspirer de l’Allemagne où un centre à Magdebourg, où se trouvent les archives, s’appuie désormais sur un réseau de 110 correspondants à travers le territoire. Un budget de 4 millions d’euros, qui devrait être porté à 6 millions l’année prochaine, et peut aller jusqu’à doubler avec l’apport de chaque Land, est alloué aux projets de recherche. Comme nous l’a confié Isabelle Attard, «comme la France, l’Allemagne a longtemps minimisé le problème. Mais elle s’est réveillée! Notre objectif n’est pas de stigmatiser tel ou tel, mais de faire de cette question une cause nationale prioritaire». Même si la commission propose de placer un tel centre de recherches sous la responsabilité de la Direction des musées de France (DMF), ce qui ne manquera pas de susciter des critiques tant cette administration s’est posée depuis longtemps comme un bastion de résistance au changement.Curieusement, le rapport ne mentionne pas l’obligation, comme c’est le cas pour les musées américains, d’une base de données pour ces œuvres douteuses: ces enquêtes ne servent pas à grand choses si elles restent dans un tiroir.

Les députés se montrent du reste sévères envers d’autres aspects de sa politique, à commencer par les retards pris dans la révision des inventaires. Douze ans après la loi la rendant obligatoire chaque décennie «le taux global de récolement, dans les 1 076 musées de France ayant transmis les données à la DMF, atteint 40% des collections». Même s’ils reconnaissent l’ampleur de la tâche, les députés réagissent vivement à une communication de la directrice des musées de France, Marie-Christine Labourdette, qualifiant ce résultat de «quasi-exploit». Non, douze ans plus tard, ces résultats «ne sont guère satisfaisants», répliquent-ils en s’étonnant d’une telle légèreté devant le «non-respect d’une obligation pourtant imposée par la loi». Citant comme exemple l’accélération de la procédure au musée Fabre à Montpellier, à celui de la porcelaine de Limoges ou à celui de la Loire, dans la Nièvre, ils proposent de repousser à fin 2016 l’achèvement des travaux. Mais, en échange, ils réclament des sanctions contre les retardataires, en suspendant leurs crédits d’acquisition. Ils demandent aussi au ministère de s’engager dans une numérisation complète des collections.

Les parlementaires s’inquiètent aussi de l’état des réserves, encombrées et même insalubres. Il cite le cas du musée Gustave Moreau, à Paris, qui disposait avant ses travaux de 25m2 pour stocker 15000 œuvres, dont 12 000 dessins, et du musée de Saint-Quentin, détenteur des pastels de Quentin La Tour, qui n’avait qu’une cave humide. Ils réclament encore qu’une solution mutualiste soit trouvée aux réserves inondables des grandes collections à Paris. Sans désigner explicitement le projet du Louvre à Liévin (Pas-de-Calais), à 200 km au nord de Paris, la commission s’inquiète d’une scission des stockages, avec «une partie reléguée, qui risque de ne plus faire l’objet d’un travail scientifique».

Donnant comme modèles le MuCEM, le quai Branly, le centre Pompidou ou le musée Fabre, elle demande d’imposer les réserves comme un chapitre obligé de la stratégie de chaque musée. Elle aimerait aussi en savoir davantage sur le sort des collections des 128 musées de France qui ont fermé ces dernières années. Dans tous ces domaines, les députés réclament du ministère des principes de travail et des méthodologies qui manquent cruellement à ses agents. Elle attend ainsi clairement de la direction des musées qu’elle «renforce la politique muséale». Elle appelle aussi à élargir la formation des conservateurs et des personnels sur ces questions en soulignant les efforts déjà engagés par l’Institut national du patrimoine (ce qui n’a pas empêché la ministre de ne pas renouveler son directeur, afin de faire place au conseiller patrimoine sortant de son cabinet- procédé qui a été très peu apprécié dans le monde des musées).

Le rapport contient d’autres suggestions qui ne manqueront pas de faire sursauter les responsables, comme de rendre libre la reproduction des œuvres publiques ou d’en vendre certaines, sous contrôle scientifique, pour en racheter d’autres -mais avec d’extrêmes précautions. Plus globalement, la commission voudrait voir le débat s’emparer d’un système sclérosé. Elle exhorte ainsi les musées et les institutions à tisser des réseaux, en citant le cas de la conférence des Muséums formée en 2011, qui a beaucoup avancé sur les méthodes d’inventaire des énormes collections d’histoire naturelle. Elle suggère la mise en place d’un forum interne aux personnels scientifiques des musées, au risque de faire sauter le tabou du «devoir de réserve» auquel la hiérarchie est férocement attachée. «Les musées en France, regrette ainsi Isabelle Attard, sont régis par un système verticalisé, or dans tous ces domaines que nous avons abordés, ils ont avancé en partageant leur expérience.»
La mission n’en a pas fini, puisqu’elle a proposé aux députés ce matin de revoir la copie des musées de France dans six mois. 

(1) Isabelle Attard, Michel Herbillon, Michel Piron et Marcel Rogemont.(2) Sigle que la commission propose de changer en une expression plus intelligible: «Œuvre récupérée en 1945» accompagnée d’un logo.

A lire: Le rapport parlementaire sur la gestion des réserves et dépots des musées.  

Rapport parlementaire sur la gestion des réserves et dépôts des musées (décembre 2014) publié par Liberation.fr

http://next.liberation.fr/arts/2014/12/17/musees-le-defi-lance-au-gouvernement_1165438
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