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Enquête intégrale: à la recherche des manuscrits spoliés par les Nazis

1998
1970
1945
Le Nouvel Observateur 10 February 2013
Par Philippe Sprang

A force de parler des tableaux, des chefs d’œuvres, on a presque fini par oublier que le pillage des Nazis s’est aussi porté sur les bibliothèques de ceux dont ils voulaient détruire les rites, la religion, l’histoire, la culture et l’existence : les juifs.

Dans la même ligne de mire, les autres ennemis du IIIe Reich, les communistes et les francs-maçons. Comme pour les tableaux, un reliquat du pillage des bibliothèques a été placé dans les années 1950, non pas dans les musées, mais dans les plusieurs bibliothèques françaises.

Ce ne sont pas quelques centaines, mais 15 450 livres (dans son ouvrage, Martine Poulain donne ce chiffre pour les attributions des commissions de choix « Livres pillés, lectures surveillées » – l’ouvrage de référence en France, et dont l’auteur dirige l’Institut national d’histoire de l’art) qui sont plongés depuis dans un formol historique et administratif. Enquête sur les dépôts de livres de la Commission de récupération artistique dans les bibliothèques françaises.

*Boris Souvarine (Ouvrier, journaliste, écrivain, essayiste) : « C’est un coup terrible, une amputation à n’en plus s’en relever. »

*Louise Weiss (Journaliste, écrivain et féministe) : « La disparition de mes livres m’enleva le goût de vivre pendant plusieurs semaines. »

*André Maurois (Romancier, conteur, essayiste) : « Dans mon bureau, les rayons que j’avais, en quarante années, remplis de livres choisis avec amour, sont maintenant vides. Ne trouvant pas l’homme, la Gestapo a pris la bibliothèque. »


Après n’avoir rien fait hier, on en fait peut-être un peu trop aujourd’hui

Du pillage artistique des Nazis, on connaît désormais beaucoup mieux la partie œuvres d’art et notamment les tableaux. Le sujet est apparu au grand jour au milieu des années 1990 avec la révélation de l’existence des MNR (Musées nationaux récupération), résidu de ce pillage non restitué.

Soit 2 058 œuvres d’art qui, depuis la Libération, avaient été déposées dans nos musées et trop discrètement conservées par l’Etat. Ce déballage, ajouté à l’apparition sur le marché de l’art de nombreux tableaux volés aux familles juives, ont amené l’Etat français à réexaminer le sujet avec la création de la Commission Mattéoli.

Dans la foulée, une commission d’indemnisation, la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), voit le jour. Ce sont plus seulement les MNR, mais l’ensemble des spoliations qui sont de nouveau étudiées ; des ayant-droit récupèrent leurs tableaux, d’autres sont indemnisés, les dossiers sont réexaminés.

Par ailleurs, jusque-là quasi inexistants, les travaux universitaires se multiplient, alors que l’Etat assouplit considérablement les conditions d’accès aux archives sur la période. Ce à quoi s’ajoute une multitude d’expositions et d’hommages, comme pour Rose Valland. Après n’avoir rien fait hier, on en fait peut-être un peu trop aujourd’hui ; mais à tout prendre…

Si désormais on identifie clairement les MNR, ces œuvres d’art dans les inventaires des musées, que dire des livres ? Pas d’inventaire, pas une ligne ou presque sur ces : « 18 000 volumes précieux dont les propriétaires n’ont pu être identifiés, (qui) ont été mis en dépôt dans de grandes bibliothèques publiques où ils restent à la disposition des spoliés qui feraient la preuve de leurs droits », comme le rappelle alors le ministère de l’Education Nationale, dans un article du Figaro en date du 12 décembre 1950.

Pillage guerrier, nationaliste et antisémite

Lors d’un colloque, dont les contributions viennent d’être publiées aux Presses universitaire de Rennes, Martine Poulain décrit les trois logiques qui vont procéder au pillage des bibliothèques et des archives par les Nazis : guerrière, nationaliste et antisémite.

Sous l’action conjuguée de l’Etat-major spécial du reichsleiter Rosenberg (ERR), chargé notamment de la saisie des biens culturels, de la Gestapo et de la Dienststelle Westen (service Ouest) au travers de l’Aktion M – chargée de vider les appartements et garde-meubles appartenant à des familles juives pour en saisir le mobilier –, plusieurs millions de livres sont saisis en France entre 1940 et 1944.

Ceux des anonymes, et les bibliothèques des médecins, des avocats, des universitaires juifs sont saisies, des écrivains, philosophes, politiciens, réfugiés politiques, des Russes blancs, des juifs allemands, des bibliophiles (Léon Blum, André Maurois, Louise Weiss…) : des bibliothèques entières.

Le 10 janvier 1941, l’ERR enlève dix caisses de livres appartenant à Jean Zay, et le 16 c’est au tour des 15 000 volumes de la bibliothèque de Georges Mandel. Plus tout ce qui pouvait bien évidement provenir des collections de riches collectionneurs juifs, tels les Rothschild, ou David Weill, Jean Fürstenberg…

« Près de 38 000 appartements ont été placés sous contrôle par les membres de l’ERR. (…) En 1942, l’ERR dispose de plus de 150 camions et 1 000 déménageurs. »

Une formidable razzia : plusieurs millions d’ouvrages, dont une partie doit notamment alimenter l’Ecole Supérieure (la Hohe Schule), un centre d’étude monumental « concernant la doctrine et l’éducation nationales-socialistes » (Dans « Le pillage par les Allemands des œuvres d’art et des bibliothèques appartenant à des juifs en France », publié par le CDJC en 1947). La constitution de ce centre est l’un des principaux alibis du pillage.


Confiscation totale des biens culturels

Le premier bureau de la Hohe Schule est inauguré le 26 mars 1940 par l’idéologue du Reich et instigateur du projet, Alfred Rosenberg. Ce bureau, à Francfort-sur-le-Main, est l’Institut de recherche sur la question juive, et ses fonds sont constitués par les bibliothèques saisies en France – dont celles de l’Alliance israélite universelle, de l’Ecole rabbinique, de Rothschild, des communautés juives de Grèce, de Hollande…

Selon un document allemand, le 1er avril 1943 la bibliothèque compte 550 000 volumes, dont une partie des fonds sont encore déposés à Berlin ou à l’Est, à Minsk et Vilno (2).

Les Nazis ont également constitué plusieurs fonds maçonniques alimentés par le pillage des loges françaises, allemandes ou belges. Très vite arrivent également les ouvrages pillés lors de la campagne de Russie. Ce pillage participe à la mise en œuvre d’une politique de confiscation totale des biens culturels exercée dans les territoires de l’Est et de l’Europe de l’Ouest.

Dès le début des bombardements alliés de 1943, de nombreux dépôts de livres sont évacués, notamment en Autriche, en Tchécoslovaquie ou en Pologne, dans des châteaux, des mines, des hôtels... Un va et vient aussi gigantesque que monstrueux (sur le sujet des migrations des livres, on se reportera au chapitre de Patricia Grimsted dans « Saisies, spoliations et restitutions. Archives et bibliothèques ». Ce professeur américain domine le sujet des spoliations des bibliothèques et des archives et leur restitution, notamment dans l’Est de l’Europe. Professeur à Harvard, elle est l’auteur de plusieurs livres et on lui doit de nombreuses contributions depuis plus d’une vingtaine d’années).

« Le vol de masse protègera les plus grandes bibliothèques intégrées à la Hohe Schule, car leurs fonds seront plus faciles à identifier et à retrouver à la Libération. Les bibliothèques privées précieuses, riches en manuscrits rares (…) rejoignent les collections des dignitaires nazis. Cette appropriation en protègera certaines. Mais l’immense majorité des bibliothèques personnelles ou familiales sont dépecées au cours de tris successifs, puis intégrées dans les collections de diverses organisations nazies. » (3)

« Effarante dispersion des ouvrages d’une même collection »

Le 24 novembre 1944, la Commission de récupération artistique (CRA) voit le jour, bientôt dotée de deux services : l’un pour les œuvres d’art et objets précieux, et l’autre pour les livres et archives (Notes et Etudes documentaires n°1 109  « Spoliations et restitutions des biens culturels publics et privés », La Documentation Française du 14 avril 1949). C’est la sous–commission chargée des livres. Elle est dirigée par Camille Bloch, puis André Masson.

Jenny Delsaux, bibliothécaire à l’Université de Paris, est chargée de l’organisation. C’est à elle que l’on doit le premier ouvrage sur la question. Elle a publié ses souvenirs en 1976 ( »La sous-commission des livres à la récupération artistique, 1944-1950 » Jenny Delsaux Paris, 1976), et parle en introduction de « l’effarante dispersion des ouvrages d’une même collection ».

Au 104 rue de Richelieu, dans le dépôt utilisé par les Allemands, sont entreposés 200 à 300 000 volumes. Une vraie montagne ; Camille Bloch parle d’un « Himalaya ». L’endroit est dans un tel état qu’elle hésite devant la tâche. Et ce n’est pas le seul dépôt dans ces conditions.

Dans un bulletin de renseignements, la Section culturelle de la DGER (ancêtre de la DGSE) relève « l’état lamentable (…) par exemple le dépôt de livre du 104 rue de Richelieu, le dépôt de la porte de Versailles (300 000 volumes, ndlr), les dépôts dans différents immeubles de l’avenue Foche etc. »

Et la Section culturelle et la CRA « de se dégager d’une situation qui déclenchera, un jour ou l’autre, un scandale » (Washington : NARA Record Group 239 box 8). La commission des livres trouve un peu partout des livres abandonnés par les Allemands : 50 000 volumes au siège de l’Alliance israélite universelle, transformée en dépôt par les Allemands, et il y a aussi quelques caisses aux Jardin d’acclimatation, note Jenny Delsaux dans ses mémoires.


1,6 million de livres retrouvés en France

Martine Poulain évalue à 1,6 million le nombre de livres retrouvés en France. Le stockage et le tri s’effectuent avec un faible effectif, en pleine période de restriction. Le service établi son plan de travail le 1er juin 1945, soit un an avant « la tâche la plus considérable pour la sous-commission, le retour des livres retrouvés dans les dépôts allemands », comme l’explique Jenny Delsaux.

Administrativement, la CRA dépend de l’Office des biens et intérêts privés (OBIP), une structure du ministère des Affaires étrangères crée après la Première Guerre mondiale, chargée du recensement des spoliations auxquelles se sont livrés les Allemands.

Cet organisme reçoit les déclarations des spoliés. Ces informations sont ensuite transmises à la sous-commission, qui établit des fichiers avec le nom et l’adresse du spolié, sa profession, la description de l’ouvrage, les éléments d’identification...

Elle dispose aussi d’informations comme cette liste de l’ERR en date du 23 mars 1941, avec le nom de plus d’une centaine de bibliothèques volées en France et, annotée à la main en marge, le nom du dépôt allemand « Füssen pour Benjamin Crémieu, Louis Dreyfus, Pierre Lazareff ou Alphonse Kann, Tanzenberg pour Ida Rubinstein, Thalheimer, Abraham Schrameck et Maximilien Scheer ».

Des experts, conservateurs et bibliothécaires se rendent en Allemagne pour examiner les dépôts. Le pays est divisé en zones ; rien de significatif dans la zone française. Les notes et études de la Documentation française (5) donnent la mesure de l’entreprise : le premier retour d’importance de la sous-commission provient du dépôt Fulda-Offenbach et de Francfort.

Soit 1 705 caisses de livres, trois trains qui contiennent une bonne partie des collections pillées pour la Hohe Schule, la Bibliothèque de recherche sur la question juive. De Klagenfurt-Tanzenberg, dépôt d’Europe centrale, arrivent 2 500 caisses de Vienne de 6 à 700 000 livres, 3 000 livres de Linz, et de Tchécoslovaquie, du Château de Nikolsburg au sud-est de Prague, 850 000 livres !


14 kilomètres de rayonnages

« Les caisses sont arrivées par milliers, de nouvelles caisses affluent sans cesse, le nombre de volumes identifiés, attribués et restitués dépasse 350 000, sans compter les papiers et archives privées (…), le rayonnage nécessaire au classement représente une longueur de 14 kilomètres » (4).

Trois millions environ de livres et manuscrits ont été regroupés tant bien que mal par les autorités d’occupation, après ouverture au hasard des caisses qui les contenaient, puis renvoyés à la Commission de récupération artistique (CRA). Le classement est souvent un casse tête.

« Les chefs-d’œuvre les plus exquis, les exemplaires les plus rares ont été enlevés pêle-mêle avec les romans policiers et les manuels scolaires. S’il y eut à l’origine un semblant de classement, tout se trouva confondu dans la hâte de la fuite devant l’avance victorieuse des armées alliées au cours des transfert dans les abris bétonnées et les mines de sels. » ( « Manuscrits et livre précieux retrouvés en Allemagne », Bibliothèque nationale, Paris, 1949.)

Comme ces épreuves d’un livre de Beaudelaire placées au milieu d’une caisse contenant des annuaires téléphoniques. Jenny Delsaux parle d’un « mélange inextricable du contenu des caisses. La même collection revenait en partie d’un dépôt resté en France, et en partie de ceux d’Offenbach, d’Autriche, de Tanzenberg, de Tchécoslovaquie ».

Prenons Tanzenberg : en date du 13 septembre 1945, Jean Rouvier est averti par les Anglais qui contrôlent la partie autrichienne de la découverte à Tanzenberg, en Carinthie, d’un immense dépôt de livres provenant des pillages orchestrés en France, en Belgique et aux Pays-Bas.

Difficultés d’identification

Ceux pillés en Russie finissaient à Ratibor, mais aussi à Tanzenberg, précise la note. Il y avait là-bas 350 000 livres, soit environ 770 caisses, avec la preuve de leur vol en France. Les Anglais veulent que les Français s’occupent de rapidement rapatrier les ouvrages, parmi lesquels, selon la note, se trouve la bibliothèque du Château de la Ferrière, celle de Léon Blum, de Jean Zay, de Georges Mandel ou d’Alphonse de Rothschild. Le tout assorti de fiches.

En février, un expert de la CRA effectue une mission au couvent de Tanzenberg. Il parle de 350 caisses d’origine française et de 1 500 autres à explorer, dont 650 d’origine française. Soit un millier de caisses d’origine française sur un total de 4 000. Et les difficultés d’identification sont évidentes selon ce rapport, dont voici l’extrait absolument essentiel pour appréhender le problème :

« L’identification des livres est rendue malaisée par le fait que, le plus souvent, les caisses n’ont pas été expédiées directement des pays spoliés à Tanzenberg. Elles ont fait des circuits variés et ont pu être ouvertes à plusieurs reprises avant d’aboutir à leur destination finale. Il en résulte que dans une caisse peuvent se trouver des livres d’origines différentes.

En fait, il existe un grand nombre de livres dont l’origine n’a pu être déterminée, soit que la nationalité actuelle du propriétaire soit inconnue des services chargés du classement (c’est le cas par exemple de Hans Vurstenberg, ancien banquier à Berlin qui aurait été expulsé d’Allemagne et a pu changer de nationalité), soit, le plus souvent, que le livre ne porte aucune trace permettant d’identifier son propriétaire (tels que ex-libris, dessin de reliure…).

A cet égard, et pour permettre de faciliter la recherche des livres appartenant à des propriétaires français, nous avons remis au directeur de la librairie la liste des personnes spoliées qui nous avait été communiquées par l’Office des biens, en lui faisant observer que cette liste n’était pas complète.

Tous les livres dont la provenance est inconnue sont inscrits sur un fichier, qui permettrait de les retrouver le jour où quelque renseignement nouveau viendrait à permettre leur identification. La question à débattre reste de savoir quelle destination il conviendra de donner aux livres dont l’origine ne pourra en définitive être déterminée. »

Pour l’anecdote, le rédacteur souligne que le personnel chargé de trier les livres est l’ancien personnel allemand employé auparavant par l’ERR, et que le responsable du tri n’est autre que l’ancien directeur de la librairie de Tanzenberg, le Dr. Grothe, qui « paraît s’acquitter de la restitution des livres avec le même soin qu’il a du apporter quelques années plus tôt à leur pillage. »


Un processus de récupération assez lourd

Le 17 avril 1946, plusieurs caisses sont rapatriées de Tanzenberg, soit une partie ses bibliothèques de James, Edouard et Alice de Rothschild, de Léon Blum, Louise Weiss ou du Comité France-Amérique, pour citer quelques-uns des propriétaires. Près de 780 000 ouvrages sont revenus d’Allemagne et d’Europe de l’Est.

Dans la foulée des retours viennent les restitutions. Les spoliés ont jusqu’au 1er janvier 1946 pour faire leur déclaration, une date limite portée au 31 décembre 1947, puis au 1er janvier 1950. La déclaration est faite à l’OBIP, qui est lui-même en relation avec les Services artistiques et la direction réparation-restitution au ministère de l’Economie, ou encore le BCR (Bureau central des restitutions) de Berlin, qui centralise des déclarations transmises par l’OBIP.

La sous-commission contacte ensuite le spolié et lui demande de renvoyer son dossier en trois exemplaires. Un processus assez lourd. In fine, la sous-commission traitera directement avec les spoliés. Compliqué aussi pour les familles dont le propriétaire de la bibliothèque a disparu d’en reconstituer le contenu et d’en faire sa description. Dans le cas de bibliothèques professionnelles (dentiste, géomètres, professeur, ingénieurs, avocats), la CRA accepte en 1947 le principe d’attributions d’ouvrages similaires récupérés et dont les propriétaires n’ont pas été identifiés.

Un décret du 30 septembre 1949 met fin à la CRA à compter du 31 décembre. A ce moment, 330 000 volumes ont été restitués ou attribués sur un total de 1,1 million d’ouvrages triés et traités. Ce qui ne représente pour Jenny Delsaux, cité par Martine Poulain, que 20% des vols commis par les Allemands.

Et de renvoyer à un chiffre qui donne le tournis : 10 millions d’ouvrages volés en France. Dans son mémoire de maîtrise, Nicolas Reymes évoque le chiffre de 20 millions, le double ( »Bibliothèques pillées – Le pillage des bibliothèques en France par les Nazis, spoliations et restitutions allemandes 1940-1953 », mémoire de maîtrise soutenu par Nicolas Reymes. Université de Paris-Panthéon-Sorbonne, 1995-1996. Nicolas Reymes reprend le chiffe avancé par le Bureau central des restitutions dans « Répertoire des biens spoliés »).

Que faire des dizaines de milliers d’ouvrages qui restent ? L’article 4 de ce même décret est on ne peut plus clair :

« La Commission de récupération artistique remettra à l’administration des Domaines toutes les œuvres d’art et tous les livres retrouvés en France dont le propriétaire n’a pu être identifié ou qui n’ont pas fait l’objet de déclaration de perte. »

En clair, ce qui reste doit être liquidé par les Domaines. Les fonctionnaires de musées et des bibliothèques plaident leur cause avec succès, et ils n’auront pas nécessairement l’occasion de pouvoir se procurer certaines de ces œuvres où livres une fois qu’ils seront sur le marché.


Création de deux commissions

La réflexion : gardons les pièces les plus intéressantes artistiquement, littérairement ou scientifiquement ; dans ce cas-là on parle de « sauvegarde du patrimoine national », tout en « donnant un délai supplémentaire aux collectionneurs spoliés » (Courrier de Julien Cain, administrateur général de la BN et président de la commission de choix des livres, en date du 9 mai 1950, au directeur de l’Obip qui, en raison de restrictions financières, vient d’annoncer vouloir fermer les bureaux de la CRA six mois plus tôt que prévu. Julien Cain s’était par ailleurs vu spolié de sa bibliothèque. Administrateur de la BN en 1939, il avait été déchu de la nationalité française et révoqué de ses fonctions le 23 avril 1940. Il a été emprisonné et déporté avant de reprendre ses fonctions à la Libération). Du gagnant-gagnant, pas une pointe de cynisme, du pragmatisme simplement, un moyen efficace d’empêcher les domaines de tout mettre à l’encan tout en préservant les intérêts des spoliés et en enrichissant les collections publiques.

Les articles 5 et 6 annoncent la création de deux commissions de choix, à elle de sélectionner respectivement un choix d’œuvres d’art ou de livres « retrouvés hors de France », qui seront mis en dépôt tantôt dans les musées, tantôt dans des bibliothèques. A charge pour les récipiendaires de les inscrire sur un inventaire provisoire et de les mettre à la disposition des spoliés jusqu’à l’expiration du délai légal de revendication.

Suit un arrêté en date du 12 octobre 1949, qui crée la Commission de choix des livres, sous la présidence de Julien Cain. La commission compte parmi ses membres des représentant de l’OBIP, de la sous-commission des livres, de la CRA, des Domaines, les Douanes, et compose également la commission les responsables des départements de la BN : imprimés, manuscrits, estampes et médailles.

La commission se réunit le 14 décembre 1949 ; la veille, le 13, responsables de départements et hommes de l’art sont venus donner « leur avis » sur les ouvrages exposés et ce à l’invitation d’André Masson, le directeur de la sous-commission des livres.

Lors de la séance du 14 décembre, selon le procès-verbal, « André Masson expose dans quelles conditions le service des spoliés a procédé au tri d’un petit nombre de manuscrits, estampes et livres précieux de grande valeur, dont il a été impossible de retrouver les propriétaires ».


Une vingtaine d’attributaires

André Masson ne s’attarde pas sur les détails, notamment sur le fait que la BNF a délégué un des ses jeunes bibliothécaires affecté au département des imprimés parmi les étagères et les rayons de la CRA : « Je fus chargé d’aller régulièrement avenue Rapp faire un choix de pièces qui pouvaient manquer à nos collections. J’ai fait dans ce but une cinquantaine de déplacements », expliquera un peu plus tard ce jeune conservateur.

Les membres de la commission partent dans la salle d’exposition afin « d’examiner les manuscrits, autographes, documents d’archives, incunables, estampes, gravures » et, après étude, il est décidé de « l’attribution en bloc de ces volumes à la direction des bibliothèques chargées de la répartition entre les établissements intéressés ». Soit pour la BN 6 caisses, incunables, manuscrits, livres, estampes… Un peu plus de 200 pièces.

De même, lorsqu’André Masson n’évoque qu’un petit nombre, ce sont plusieurs centaines d’ouvrages qui sont ainsi déposés non seulement à la BN, la plus richement dotée semble t-il, mais il y a plus d’une vingtaine autres attributaires : la bibliothèque de la Sorbonne, l’Ecole des langues orientales, la bibliothèque de l’Institut de France et les bibliothèques de plusieurs villes comme Metz, Soissons, Douai, Lyon, Quimper, Chartres, Strasbourg... A titre d’exemple, Tours reçoit 22 ouvrages.

A chacun des destinataires d’aller chercher les ouvrages, puis de faire une liste des biens en 9 exemplaires et de signer une décharge. Il s’engage à inscrire ces biens « sur un inventaire provisoire et ils seront mis jusqu’à expiration du délai légal de revendication à la disposition des collectionneurs pillés ou spoliés ; ces livres ou manuscrits devront être communiqués à ces collectionneurs sur leur demande ».

Pour la BN, ce seront 22 feuilles qui énumèrent les biens en question ; la formule de décharge est signée le 22 mars 195O. Quand au délai légal de revendication, « aucun texte n’ayant fixé l’expiration du délai de revendication, il n’y a pas lieu de retenir la période de trois ans qui avait été envisagée, et il convient d’attendre des instructions ultérieures avant d’apposer aucune marque de propriété », expliquera plus tard Julien Cain aux conservateurs des départements de la BN.

Dans l’immédiat, en fonction des établissements la nature même des « biens » est diversement interprétée. Ainsi la bibliothèque de l’Arsenal les intitule, « livres déposés par le service de Récupération pour lui être attribués à l’expiration des délais prescrits » idem pour la bibliothèque Mazarine » et pour la bibliothèque de Tours il s’agit « des ouvrages précieux attribués à la bibliothèque municipale de Tours en 1950 à la suite de la réunion de la commission de choix du14 décembre 1949. »


Rideau administratif

Il y aura quatre commissions de choix jusqu’en 1953. A la CRA, plusieurs personnes ont établit des listes : incunables, estampes, gravures, manuscrits, livres du XVIe, documents, livres d’heures (très peu), autographes, livres imprimés et dédicacés, livres tchèques, roumain, lituaniens...

Ils ont apposés des destinations : Strasbourg, Chartes, La Sorbonne, Forney, la BDIC, l’Institut d’art et d’archéologie, et toujours de nombreuses bibliothèques municipales aux quatre coins de la France.

Au total, les commissions de choix ventilent plus de 15 000 ouvrages. Le 14 octobre 1953, le Département des manuscrits de la BN s’intéresse à trois fragments datant du Ier siècle de l’ère chrétienne. Ils sont rendus après autorisation à son propriétaire spolié : l’Alliance israélite.

Et le 7 août 1954, suite au dernier dépôt de la Commission de choix, Julien Cain rappelle une nouvelle fois à leurs devoirs les responsables de département Estampes, Manuscrits, Médailles, Imprimés, Cartes et Plans. Le délai légal est évoqué mais on ignore toujours sa durée.

Un rideau administratif est tiré sur cette affaire pendant… trente ans. Le voilà le délai de revendication, l’administration s’est appuyée sur un article du code civil qui stipule que « toutes les actions tant réelles que personnelles sont prescrites par trente ans ».

Un an avant le terme de ce délai, l’administrateur général se manifeste auprès des responsables de département. Il s’agit désormais de Georges le Rider ; il demande aux conservateurs de lui fournir une liste des biens déposés afin d’introduire une demande de dévolution dans les règles, mais précise que cela ne s’applique qu’aux « biens dont les propriétaires n’ont pu être identifiés ».

« Ceux qui possèdent pour autrui ne possèdent jamais »

Il invite donc les conservateurs à rechercher les marques de propriétés ou estampilles qui, si elles « avaient échappé aux personnes chargées de l’inventaire », provoqueraient une restitution immédiate. C’est ainsi que Mme Sanson récupère le 3 octobre 1979 un ensemble d’estampes et, lors de l’opération de catalogage en 1980, un ouvrage appartenant à Maurice de Rothschild est identifié à partir de l’analyse de la reliure. Dans les listes, les bibliothécaires relèvent d’autres ouvrages avec des signes distinctifs.

Georges Le Rider remercie l’ancien responsable de la sous-commission des livres. Dans un courrier d’avril 1980, il avertit André Masson, l’Inspecteur général honoraire des bibliothèques, que la période de prescription de propriété étant écoulée, il remettait aux divers départements de la BN les livres « que vous aviez retenus à son intention », et lui adresse ses remerciements « pour l’action que vous aviez menée en faveur de ces attributions à la Bibliothèque nationale ».

S’en est donc fini du provisoire, les ouvrages font leur entrée dans les collections, ils sont intégrés – enfin presque –, et Georges Le Rider, se référant à un autre article du code civil, met en garde ses conservateurs : « La propriété n’en est pas pour autant dévolue à la Bibliothèque nationale, car ceux qui possèdent pour autrui ne possèdent jamais ».

A l’automne 1979, c’est la bascule : Albert Labarre, conservateur en chef, sort les ouvrages des placards, et ils sont alors listés comme « biens confisqués pendant les hostilités » par le Département des imprimes et le cabinet oriental, tandis que la bibliothèque de l’Arsenal se voit proposer une « liste d’ouvrages provenant de la récupération artistique ».

Le registre d’inventaire fait référence à la provenance : « Récupération artistique ». Tout ce qui n’est une acquisition est inventorié sous le suffixe « Don pour donation », puis est indiqué 79 pour 1979, suivi d’un nombre, 24 444 ou 24 443 pour les imprimés, MSS pour les manuscrits – avec un chiffre derrière mais sans 79–, MMA pour les médailles monnaies et antiques.

Voilà leur numéro d’entrée administratif dans l’inventaire. Vient ensuite celui de leur classement en fonction de la discipline, du fonds auquel il appartient. Ils sont désormais comme les autres, intégrés aux collections et rien, absolument rien n’indique aux lecteurs la provenance de l’ouvrage.


Ouvrages retrouvés hors de France

Le pillage, la récupération en Allemagne, le tri, les commissions de choix, tout a disparu à la faveur d’un bonneteau administratif. Seules quelques personnes de la BN peuvent connaitre la provenance des ouvrages, comme nous avons pu le constater.

Dès 2008, à partir des listes de la commission de choix récupérées aux archives nationales, nous avons tenté de retrouver ces livres à la Bibliothèque nationale, le saint des saints. Finalement, par recoupement, nous avons constaté que certains, en plus de leur côte respective, portaient des notices explicatives comme provenance, par exemple Don 79 24 444 ou Don 79 24 443.

Dans l’impossibilité de nous fournir plus d’explications, les bibliothécaires nous ont orientés vers le service des archives de la BN : nous avons demandé la liste des dons 79 24444, et c’est ainsi que nous les avons retrouvé dans le registre d’entrée et que nous avons pu consulter les archives de la BN sur le sujet.

Nous avons repris l’enquête en septembre dernier. Etant donné que dans le cas des MNR, les tableaux, il avait été possible de retrouver des propriétaires, en était-il de même pour ces livres ? Et se pourrait-il que dans les filets de la récupération artistiques soient revenus des livres pillés par les Allemands dans d’autres pays. Car, rappelons-le, le travail de la commission de choix s’est porté sur les ouvrages « retrouvés hors de France ».

A la BN, notre choix s’est porté sur cinq ouvrages, qui présentaient des signes distinctifs en 1979 lors du dernier examen préalable à leur intégration. Le résultat est mitigé : nous n’avons pas trouvé les propriétaires, mais il y a des pistes. Les recherches sont d’autant plus délicates et compliquées qu’il faut retrouver l’ouvrage et l’examiner. Le même travail reste à faire pour les autres bibliothèques.

Les autres bibliothèques : Strasbourg, le Musée du Louvre, Tours, la bibliothèque Mazarine

Il n’y a pas que la BN. Nous avons sollicité un peu au hasard d’autres destinataires des Commissions de choix et les traitements diffèrent au fil des établissements. La bibliothèque municipale de Tours, en travaux, dispose d’une liste précise de 103 ouvrages déposés par la « récupération artistique » avec le renvoi à leur cote dans les collections. Aucun signe distinctif dans l’inventaire et l’intégration s’est échelonnée de 1979 à 1986.

Les bibliothèques de Strasbourg ont reçu elles plus de 11 000 fascicules de périodiques, livres et brochures. On trouve leurs traces dans les registres d’entrée des années 1948 à 1952, avec l’indication « dons spoliés » ou « spoliés Paris ». Les ouvrages viennent à la fois de la CRA de Paris et de Strasbourg, car la ville disposait d’une commission de récupération qui lui était propre. Aucune marque distinctive quand à leur provenance, simplement, pour certains ouvrages, l’ancienne cote mentionne un R, peut-être pour récupération.

La bibliothèque Mazarine a reçu en dépôt 61 imprimés, quelques livres anciens et des ouvrages d’histoire, ainsi que 3 documents, dont un recueil de harangues et oraisons funèbres manuscrites du XVIIe au début du XVIIIe. L’ensemble a été consigné dans les registres d’entrée à partir de 1959, et dans le cadre de l’informatisation des catalogues en cours, l’intention de la bibliothèque est de rendre cette provenance interrogeable depuis le catalogue en ligne. Cela a déjà commencé et nous l’avons constaté pour le recueil de harangues.

Plusieurs bibliothèques n’ont reçu qu’un ou deux ouvrages. La Commission de récupération a déposé à la bibliothèque du Musée du Louvre un ouvrage en trois volumes, un recueil d’estampes de la Galerie de Dresde. Suite à notre demande d’information, la Bibliothèque centrale des musées nationaux a consulté ses archives et modifié la notice des volumes d’estampes en rajoutant les informations « attribution par la sous-commission des livres de la récupération artistique en 1950 », ainsi que l’ex-libris « Ludovic Lindsay, earl of Crawford  ».

La bibliothèque d’Annecy est avisée en février 1951 de l’envoi par la commission de choix de l’ouvrage « Poème de l’amour » de la Comtesse Anna de Noailles, avec une dédicace autographe de l’auteur à Mme Lazare-Weiller. Contactée, la bibliothèque a retrouvé le courrier, mais nulle trace de l’ouvrage dans ses collections. Pas plus que n’est évoquée une restitution à la famille.

Enfin, la bibliothèque de Sète est avisée que la 3e commission de choix lui attribue deux ouvrages de Paul Valéry, dont l’un « L’idée fixe ou deux hommes à la mer », une édition originale de 1932, « imprimée spécialement pour M. M. Meyer ». Qui était Monsieur M. Meyer ? Où était-il lorsqu’on lui a pris ce livre ? A-t-il combattu, était-il un bourgeois, était-il juif, franc-maçon, voire les deux ? A t-il été déporté et a t-il survécu ? Et pourquoi lui avait on imprimé spécialement ce livre ?

Une liste accessible au grand public

Aujourd’hui, il revient à l’Etat de réunir sur une même liste unique ces ouvrages dont il a la garde, et d’en faire la description exacte. Une liste accessible au grand public : plusieurs raisons tendent à cette obligation, au risque sinon de s’interroger sur les raisons de cette discrétion.

D’abord, ces 15 450 livres ont exactement la même histoire et le même statut. Ils sont simplement plus nombreux et n’ont pas la même valeur. Mais comme le reconnaissent aujourd’hui ces services, ils sont conservés à titre précaire par l’Etat. Encore les responsables ne parlent-il que des 250 numéros conservés à la BN.

Malgré ce qu’ils avancent, la liste, ne serait-ce que de ces 250 ouvrages, n’est pas connue. De manière générale, nous n’avons trouvé aucun inventaire provisoire, et aucune publicité n’a été faite sur leur présence dans les bibliothèques. Si l’on mesure aujourd’hui l’extraordinaire travail effectué par la sous-commission des livres, on sait aussi qu’elle manquait cruellement de moyens.

On connaît le chaos de le récupération. Raison de plus de poursuivre ce travail. Aujourd’hui, le service des archives du ministère des Affaires étrangères effectue le tri des dossiers de spoliation de feu la CRA et l’OBIP, et les listes deviennent disponibles, les universitaires connaissent le sujet.

Dispositif opaque et muet

Il serait paradoxal que les ayant-droits des spoliés ne puissent les comparer aux livres détenus par l’Etat. Cela vaut pour les pays étrangers, victimes eux aussi du pillage et qui courent après leurs collections.

Le silence qui s’est abattu sur ces livres est le même qui touchait les MNR voilà plus de 20 ans, lorsque j’ai fait mes premières enquêtes sur les spoliations de tableaux. C’est avec ahurissement que je vois l’histoire se répéter. A propos des commissions de choix sur les MNR, la Mission d’étude sur la spoliation des juifs de France explique : « L’opacité et le mutisme du dispositif concourent aujourd’hui à considérer que son accomplissement fut conduit rapidement et non sans légèreté » ( »Le Pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2000 oeuvres confiées aux musées nationaux », Isabelle Le Masne de Chermont, Didier Schulmann, Jean Matteoli. La Documention Française).

Situation identique pour les livres. Ensuite, on demande à des bibliothécaires, à des conservateurs de conserver convenablement, d’exposer, d’enrichir les collections, mais certainement pas de sortir, de rendre. L’Etat préférait la discrétion, comme le rappelle Jenny Delsaux dans l’introduction de son ouvrage qu’elle souhaitait publier au lendemain de la fin de son service :

« En haut lieu on avait peur que les spoliés, dont beaucoup n’avaient pas retrouvé leur bien, ou n’avaient pas pu pour certaines raisons bénéficier d’une attribution, fassent de nouvelles réclamations. »

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Bibliothèque nationale

A la BN on trouve tout, enfin presque

Ouvrages maçonniques. Plusieurs livres proviennent de loges maçonniques allemandes comme cet ouvrage de Ferdinand Philippi portant l’estampille « Grande loge Francs Maçons d’Allemagne - Berlin » ou ce livre de Distling avec le cachet de la loge « Eleusis pour le silence » de Bayreuth. Ces ouvrages sont au département des Manuscrits. En tout il y a 23 livres allemands concernant la Franc-maçonnerie.

La mention sur leur provenance : « Récupération : saisie de guerre » ! Le critère de recherche pour l’ensemble « Don 35685 ». Nous avons tenté de contacter les loges maçonniques allemandes sans succès.

Beaucoup de bibliothèques maçonniques ont été pillés en Europe de l’Ouest tant par l’ERR que par l’Office central de la sécurité du Reich RSHA dirigé par Himmler, fusion de la Gestapo et de nombreux services des renseignements tels que la SD et la Sipo-SD (4).

Le Musée de Kiev. Il y ces deux ouvrages sur la numismatique de Goltzius datant du 17e. le premier tome porte l’estampille d’un musée en caractères cyrilliques. Un élément relevé par des bibliothécaires en 1979. Après examen, il apparait que les caractères dévoile le cachet « Musée de Kiev ».

L’Ukraine ou de nombreux musées et bibliothèques ont été pillées par les Nazis et dont certaines collections ont fini dans les même dépôts, Tanzenberg par exemple, que des bibliothèques spoliées en France. Nous avons fait parvenir par le biais d’une tierce personne des photos du cachet et de l’ouvrage à des responsables de musée ukrainien.

Le cachet est celui d’un musée qui après 1904 est officiellement nommé musée Nicolas II de Kiev de l’art industriel et des Science ( Kievskii khudozhestvenno-promyshlennyi i nauchnyi muzei imperatora Nikolaia Aleksandrovicha).

Voilà ce que nous a rapporté notre correspondant en Ukraine. Ce qui indique un marquage avant la révolution, le cachet correspond bien mais nul trace dans les catalogues d’entrée du musée par ailleurs de nombreux catalogues d’entrée ont disparu pendant la guerre.

Pas de trace non plus du cachet d’une quelconque institution soviétique. Beaucoup d’inscriptions ont été faites au crayon et ont pu être effacées. Pillés par les nazis en Ukraine, vendu avant la guerre par les soviétiques à des collectionneurs privés… seul un examen scientifique des inscriptions inscrites sur les deux ouvrages permettrait d’établir la provenance avec certitude. Les échanges par mail et par personne interposée ne suffisent pas. Les deux ouvrages sont au département des Monnaies et médailles de BN sur le site de Richelieu.

Le registre d’entrée indique simplement l’attribution par « M. Labarre » en 1979 ? . Sur le registre ils se voient attribués les numéros don mma 79-00974 et 000973.. Aucune information relative à leur provenance. Voici leur cote actuelle RES-10001-GOL-F-(3,1644) and RES-10001-GOL-F-(2,164). Les deux ouvrages sont numérisés

Favart (Charles-Simon). Il s’agit d’un « Recueil du Théatre de M. Favart » en deux volumes, particularité, la reliure porte un monograme de Furstenberg, en l’occurrence JFJ. L’éditeur est Duchesne, la pièce est donnée en 1752 et l’ouvrage publié en 1763.

Il nous a fallu passer par la bibliothèque de l’Opéra, passer à la Réserve de la BN et consulter à de multiples reprises le catalogue de la BN pour finalement trouver l’ouvrage dont on ne peut localiser l’exemplaire et la notice qu’en effectuant une recherche à partir du numéro d’entrée d’inventaire des dépôts de la commission de choix dans le département des Imprimés à savoir Don 79 2444. Il y en a deux l’autre est Don 79 2443.

Là en l’occurrence c’est le 79 2444. Nous n’avons trouvé l’ouvrage que voilà quelques jours. Un vrai coup de chance. La question que tout bibliophile peut se poser : s’agit il d’un ouvrage appartenant à Jean Furstenberg. L’un des plus éminents bibliophiles de la première moitié du 20e siècle.

Riche et influent banquier allemand, Hans Furstenberg a commencé sa collection à la fin de l’adolescence à l’occasion d’un voyage à Paris et fait ses premières emplettes chez les bouquinistes des quais de Seine. Editions classiques allemandes, collections d’auteurs anglais, en 1929 il publie une monographie sur les livres français du 18e et ce sur la base de son importante collection.

Recherché par la gestapo, il trouve refuge à Paris en 1936 et prend la nationalité française. Il s’appelle désormais Jean Furstenberg et laisse en Allemagne une partie de ses biens en contrepartie de sa liberté. Une première spoliation. Il emmène avec lui 16 000 volumes, dont l’essentiel part pour le château de Beaumesnil en Normandie. Qui sera plus tard pillé par les Allemands une partie de sa collection est saisie et rejoindra plus tard le dépôt de Tanzenberg. A la Libération, environ 1600 ouvrages lui seront rendus sur les 7 500 enlevés (11).

Si sur l’ouvrage de Favart ne figure aucun des signes de propriété de Jean Furstenberg à savoir un ex-libris ou une vignette on trouve en revanche la mention « Berlin » écrite au crayon. Et c’est justement à Berlin au dépôt Central de la Hohe Schule que fut amenée une partie de la collection volée à Jean Furstenberg. Comme d’autres collections du reste. A l’intérieur on trouve par ailleurs la mention au crayon « Cohen 375 ». Cohen pour Henri Cohen auteur du « Guide de l’amateur de livres à gravures du XVIIIe siècle » dont Furstenberg était un amateur avisé et la page 375 renvoi à cet ouvrage de Charles Simon Favart.

Le président de la Fondation Furstenberg qui doit procéder à une comparaison graphologique nous a précisé que Jean Furtenberg « aimait acquérir tout ce qui pouvait se rapporter au nom Furstenberg ». Cotes Res P-YF-541 (1,6) et Don 79 2444 (24,25)

Victor Hugo. Le Conservateur Littéraire, 1819. Revue littéraire fondée en 1816 les frères Hugo , Abel et Victor. Deux informations importantes apparaissent, d’une part il y a un ex-libris de Louis Barthou et ensuite une étiquette. Nous avons longtemps cherché l’ouvrage. Louis Barthou, mort en 1934 lors de l’attentat à Marseille perpétré contre le roi Alexandre de Yougoslavie était un homme politique de premier plan doublé d’un bibliophile de renom.

Les ventes de sa bibliothèque en 1935 et 1936 qui s’échelonnèrent sur plusieurs jours furent des événements pour les collectionneurs. Avoir un ou plusieurs Barthou dans sa bibliothèque est du meilleur effet. Nous avons consulté aux Archives de Paris, les minutes des ventes dans l’espoir de découvrir qui était l’acquéreur. Nous avons trouvé deux exemplaires du Conservateur qui furent vendus, les lots 1818 et 1939, en revanche nous n’avons pu identifier les acquéreurs, le document n’existe sans doute plus. Autre élément d’identification, l’étiquette « bibliothèque » du château du Tremblay.

Reste à trouver l’ouvrage à la BN. De multiples recherches et rien il est introuvable. Et pour cause, une note manuscrite indique « double » en face de l’ouvrage. Renseignement pris, ce qui fut un département de la BN a ensuite fait parti du Centre national de prêt une annexe de la BN Versailles ou l’on mettait les « doubles » à disposition des établissements de recherches. Le Centre a fermé en 1996, les « doubles » auraient été rapatriés sur le site de Tolbiac et ne seraient ni accessibles ni inventoriés.

Edmond Rostand. « Un soir à Hernani » il s’agit d’un exemplaire numéroté 36 publié en 1908 « imprimé spécialement pour Sarah Bernhard sur Japon ». Nous retrouvons aisément l’ouvrage car il n’y que 4 exemplaires de cet ouvrages à la BN : la cote Res M-YE-868 et sur le livre d’entrée Don 79 2444/(61, 79). La notice est extrêmement détaillée, elle renvoi à un ex-libris de Franz Ostermann.

Avant de consulter l’ouvrage à la BN nous effectuons des recherches pour tenter de l’identifier et de trouver ses descendants. Rien du moins sur internet. Car en examinant le livre à la BN surprise, il ne s’agit pas d’un ex-libris mais du cachet de l’imprimeur Frans Ostermann. Là encore nous avons consulté les Archives de Paris en espérant retrouver l’acquéreur de l’ouvrage lors de la vente en 1923 de la bibliothèque de Sarah Bernhard.. C’est le lot 377, l’imprimeur est mentionné entre parenthèse comme « Franz » c’est ainsi qu’on le surnomme dans le métier. Dans le dossier, nous ne sommes pas parvenus à retrouver les pelures sur les acheteurs, il y a juste un prix.

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Notes

(1) Dans Le pillage par les allemands des œuvres d’art et des bibliothèques appartenant à des Juifs en France publié par le CDJC en 1947

(2 Dans son ouvrage Martine Poulain, directrice de la bibliothèque de l’INHA donne ce chiffre pour les attributions des commissions de choix Livres pillés, lectures surveillées paru en 2008 chez Gallimard. C’est l’ouvrage de référence en France et dont l’auteur dirige l’Institut national d’histoire de l’art

<Extraits de rapports de André Masson et Jenny Delsaux respectivement Président et bibliothécaire, adjointe au directeur, chargée de l’organisation de la Sous-commission des livres de la Commission de récupération artistique..

(3) Sur le sujet des migrations des livres on se reportera au chapitre de Patricia Grimsted dans Saisies , spoliations et restitutions. Archives et bibliothèques Presses universitaires de Rennes paru en septembre 2012 qui retranscrit . Ce professeur américain domine le sujet des spoliations des bibliothèques et des archives et leur restitution et notamment dans l’Est de l’Europe. Professeur à Harvard, elle est l’auteur de plusieurs livres et on lui doit de nombreuses contributions depuis plus d’une vingtaine d’années

(4) Notes et Etudes documentaires n° 1 109 Spoliations et restitutions des biens culturels publics et privés. La Documentation Française 14 avril 1949.

(5) La sous-commission des livres à la récupération artistique 1944-1950 Jenny Delsaux Paris 1976

(6) Washington : NARA Record Group 239 box 8

(7) Manuscrits et livre précieux retrouvés en Allemagne Bibliothèque Nationale. Paris 1949.

(8) Bibliothèques pillées – Le pillage des bibliothèques en France par les nazis, spoliations et restitutions allemandes 1940-1953 » Mémoire de maîtrise soutenu par Nicolas Reymes. Université de Paris-Panthéon –Sorbonne. 1995-1996. Nicolas Reymes reprend la le chiffe avancé par le Bureau central des restitutions dans le Répertoire des biens spoliés

http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/RBS/T_2-3-4-7_S3.pdf

(9) Courrier de Julien Cain : administrateur général de la BN et président de la commission de choix des livres.

BN E369. En date du 9 mai 1950 dans un courrier au directeur de l’Obip qui en raison de restrictions financières vient d’annoncer vouloir fermer les bureaux de la CRA six mois plus tôt que prévu. Julien Cain s’était par ailleurs vu spolié de sa bibliothèque. Administrateur de la BN en 1939, il avait été déchu de la nationalité française et révoqué de ses fonctions le 23 avril 1940. Il a été emprisonné et déporté avant de reprendre ses fonctions à la Libération.

(10) BN E369 Courrier en date du 15 juin 1951.

(11) http://www.cfaj.fr/publicat/Nouvelle_liste_spolies_janv_2011.pdf. La Commission Française des Archives Juives a mis en ligne la liste des personnes spoliées de leurs bibliothèques. Cette liste est tenue à jour. Elle est désormais également disponible sur le site du ministère de la Culture. www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/MnR-doc-hist.htm

(12) Le Pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2000 oeuvres confiées aux musées nationaux Isabelle Le Masne de Chermont, Didier Schulmann, Jean Matteoli. La Documention Française

 

http://www.rue89.com/2013/02/10/enquete-integrale-la-recherche-des-manuscrits-spolies-par-les-nazis-239364
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