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Beaubourg : les tableaux n'étaient pas un don, mais un vol des nazis

1998
1970
1945
Rue 89 11 December 2011
By Philippe Sprang


Capture d'écran du site du musée Beaubourg affichant l'œuvre « Composition » (1939), l'un des trois tableaux de Löwenstein exposés au musée (Musee Beaubourg)

Le 16 novembre, par arrêté administratif, trois tableaux de la collection du peintre Fédor Löwenstein (1901-1947) ont été radiés de l'inventaire des collections permanentes du musée Beaubourg.

Prévue par le code du patrimoine, cette procédure rarement mise en œuvre se justifie par le fait que ces tableaux ne provenaient pas d'un « don » comme l'indiquait leur fiche signalétique mais du pillage par les les nazis pendant l'Occupation de l'atelier de Fédor Löwenstein.

Une véritable enquête policière

Les trois tableaux – « Les Peupliers », « Arbres » et « Composition » – sont désormais inscrits sur l'inventaire des MNR (Musée nationaux récupération) qui désigne les biens en déshérence provenant souvent d'actes de spoliation des nazis.

Cette découverte est le fruit d'une véritable enquête policière menée conjointement par Alain Prévet, responsable des archives des musées nationaux, et Thierry Bajou, conservateur en chef du patrimoine.

Rappel : durant l'Occupation, les nazis s'accaparent les principales collections de tableaux des marchands et collectionneurs juifs. Avec le soutien de la Gestapo et du Commissariat aux questions juives, plusieurs milliers d'authentiques chef-d'œuvres sont saisis par l'ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg).

Cet organisme, du nom de l'idéologue Alfred Rosenberg, est chargé d'organiser la spoliation systématique des collections appartenant aux juifs et aux francs-maçons et d'en supprimer toute œuvre relevant d'un art « dégénéré, enjuivé ». C'est surtout l'occasion pour les dignitaires du Reich de se constituer des collections de tableaux à bon compte et d'alimenter le marché noir du marché de l'art.

Les infos indispensables de Rose Valland

Les œuvres saisies – plusieurs milliers – transitent par le musée du Jeu de paume et sont exposées lorsque Goering (commandant en chef de la Luftwaffe et ministre de l'Air du Troisième Reich) vient faire ses emplettes, Hitler se réservant malgré tout le premier choix.

« Les Carnets de Rose Valland »
« Les Carnets de Rose Valland », que viennent de publier l'historienne Emmanuelle Polack et le critique d'art du Monde et professeur d'histoire de l'art Philippe Dagen, permettent pour la première fois d'appréhender la réalité du travail de Rose Valland pour ce qu'il était en dehors du sentimentalisme qui prévalait jusqu'alors. Des notes sèches, précises quelques fois drôles et ironiques, quelque fois témoignant de sa colère et de sa tristesse, mais avant tout des infos à l'état brut.

Suivent des convois de train à destination de l'Allemagne : la ville de Berchtesgaden pour Hitler, celle de Karinhall pour Goering.

Tout cela se fait sous l'œil attentif de Rose Valland, attachée de conservation au Jeu de paume, observatrice et chroniqueuse clandestine des opérations conduites par les nazis.

A partir de mars 1941, elle est l'unique témoin français des exactions perpétrées par l'organisation culturelle. Elle va noter dans des carnets tout se qui passe et ce qui transite au Jeu de paume. Ce qui, à la Libération, sera essentiel pour les opérations de récupération.

Six œuvres de Löwenstein saisies au peintre

Ainsi, le 10 mars 1942, Rose Valland note :

« Œuvres d'art moderne indépendant qui sont encore au musée du Jeu de paume et qui paraissent constituer une catégorie à part parce qu'elles ne sont pas conformes à l'esthétique du Troisième Reich. »

Ces œuvres dégénérées sont regroupées à l'écart dans la salle dite des « Martyrs ».

Elle note ainsi la présence de six œuvres de Fédor Löwenstein saisies au peintre.

A la Libération, les fonctionnaires de l'ERR laisseront plus d'une demi-douzaine de négatifs de photos dont deux de la salle des Martyrs. Des négatifs de bonne qualité. Alain Prévet et Thierry Bajou vont procéder à la numérisation de détails des négatifs et travailler la luminosité sur chacun des tableaux. Enfin, des systèmes de retouche d'image vont leur permettre de pratiquer des anamorphoses et ainsi rectifier les plans déformés par la perspective.

Ils ont comparé leur travail sur les négatifs avec les listes établies par Rose Valland et ainsi procédé à l'identification précise d'une soixantaine de tableaux. Un travail de moine-soldat. C'est ainsi qu'ils identifient un, puis deux tableaux de Löwenstein.

Des informations qu'ils tentent de recouper avec celles contenues dans un site mis en ligne l'an dernier à Washington sur les œuvres ayant transité au musée du Jeu de paume et réalisé sur la base des fiches et fichiers réalisés par l'ERR. Sur le site, pas moins de 21 tableaux de Löwenstein, l'ensemble de ce qui a été saisi dans son atelier, sont répertoriés dont ceux repérés sur les négatifs.

Retrouver les héritiers des tableaux

Des toiles qui représentent une faible valeur marchande et sont promises à la destruction. Par ailleurs, en poursuivant leurs recherches, ils découvrent que des œuvres de Löwenstein apparaissent dans les collections nationales dont l'une, « Composition », était également en photo dans la salle des Martyrs.

En allant sur le site du musée Beaubourg et en tapant « Lowenstein », on découvre que les trois tableaux sont présentés comme provenant d'un don effectué en 1973. En fait, il semble qu'ignorant la provenance exacte de ces toiles, la direction des musées nationaux les ait transformées en « dons » afin de leur donner une existence administrative convenable.

Désormais, il ne reste plus qu'à retrouver les héritiers ou ayants droit – s'ils existent – et déterminer si l'Etat a procédé à d'autres « dons » de cette nature.

http://www.rue89.com/rue89-culture/2011/12/11/beaubourg-les-tableaux-netaient-pas-un-don-mais-un-vol-des-nazis-227393
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